La CGT propose une cure de jouvence pour les 75 ans de la Sécu

L’enregistrement des tables rondes est disponible en ligne sur le site de la CGT. 

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1945-2020 : la Sécurité sociale a atteint début octobre l’âge vénérable de 75 ans. Pour honorer ce qui fut l’un des plus grands progrès social du XXe siècle et présenter ses propositions pour pérenniser cette institution, la CGT a organisé mercredi 7 octobre deux tables rondes dans ses locaux de Montreuil.

“L’enjeu de cette journée était bien sûr de célébrer ses 75 ans mais aussi de réfléchir ensemble à la reconquête de la Sécurité sociale afin qu’elle assure l’égalité des droits et qu’elle réponde aux nouveaux besoins”. Ainsi Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT a-t-elle introduit la journée de tables rondes organisée en ligne et retransmise sur le site du syndicat, en direct de Montreuil. La Sécu, pilier du système social français, héritage à la fois du gaullisme et des luttes syndicales, colosse aux pieds d’argile dont la Cour des comptes a relevé une nouvelle fois les fragilités financières, et dont la CGT revendique la paternité. A l’occasion de cet anniversaire, la CGT communique aussi sur ses propositions (voir cette page de son site internet) et alerte sur “le démantèlement progressif depuis 40 ans dont fait l’objet l’institution. Elle lance ainsi une « campagne de reconquête » s’étalant jusqu’à 2021 et sans doute jusqu’au prochain congrès confédéral.

Pour ses tables rondes, la CGT a invité, autour de ses conseillers et secrétaires comme Philippe Martinez et Catherine Perret, Pierre Caillaud-Croizat (descendant d’Ambroise Croizat) et l’historien Michel Pigenet qui a retracé les grandes dates à connaître.

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Michel Pigenet, historien : La Sécurité sociale ne vient pas de rien 

Lors de la première table ronde intitulée “Une conquête ouvrière pour tous”, l’historien Michel Pigenet a rappelé que de multiples régimes de caisses ont précédé la Sécurité sociale. À l’origine, la création de caisses financières dont les salariés perdaient le bénéfice s’ils perdaient leur emploi, était le fruit d’un certain paternalisme patronal qui gardait la main sur leur organisation et leur contrôle. A cette époque, la IIIe République ne consacre que 5 % de son budget à ce qu’elle dénomme “l’assistance” aux plus indigents. Arrive ainsi dans le paysage social l’aide médicale gratuite aux plus pauvres en 1893. Douze ans plus tard, en 1905, naît l’assistance pour les vieillards qui finance ce qu’il faut appeler crument l’entrée à l’hospice. Dans la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, il faut atteindre l’âge de 65 ans pour toucher une pension bien modeste, ce qui ne concernait au final que 4 % des ouvriers, “au point qu’on l’appelait la retraite pour les morts”, précise Michel Pigenet avec un brin de malice. Les années trente connaissent elles aussi leur lot de petits progrès. Les textes de 1928, 1930 et 1932 font entrer en scène les assurances vieillesse et maladie obligatoires.

Une rupture formidable avec les logiques marchandes

“La Sécurité sociale ne vient pas de rien : dès 1944, le Conseil National de la Résistance (CNR) y travaille depuis Alger dans la clandestinité, avec l’Assemblée consultative”, retrace l’historien. Mais c’est après-guerre que le CNR fait basculer une assistance morcelée vers un véritable système de protection sociale à vocation universelle et fondée sur un principe de solidarité : la célèbre ordonnance du 4 octobre 1945. Les cotisations deviennent prises en charge par les bien portants. “On cotise selon ses moyens mais on bénéficie selon ses besoins. C’est une rupture formidable avec les logiques marchandes !”, explique Michel Pigenet. L’autre ligne de force de la création de la Sécurité sociale, selon l’historien, repose sur sa démocratisation au profit de l’ensemble des travailleurs. “De plus, on a passé les cotisations de 8 % partagées par moitié entre employeurs et salariés, à 16 % payés à hauteur de 10 % par les employeurs et 6 % par les salariés. Les caisses sont aussi gérées désormais par les travailleurs, et cela change tout”.

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S’ouvre ensuite une période de simplification, pendant laquelle les plus de 800 caisses existantes sont remplacées par une seule caisse primaire qui couvre la maladie et la vieillesse. On crée les allocations familiales et on améliore les modalités de financement afin de mieux couvrir les maux. L’historien termine son intervention sur l’année 1967, où le président élu des caisses disparaît au profit du directeur nommé et qu’ainsi est rétabli le paritarisme à la tête de l’institution. Mais Michel Pigenet n’aura pas manqué de faire un détour par les mesures de restriction de la Sécu qui ont commencé dès les années cinquante, les hausses de ticket modérateur et autres voies ouvertes en faveur des mutuelles privées, introduisant ainsi les propos de Catherine Perret et de Pierre Caillaud-Croizat.

La Sécurité sociale, une conquête à relancer selon la CGT
Catherine Perret donne en effet très vite le ton de son intervention : “Ambroise Croizat a dit ‘Ne parlez pas d’acquis mais de conquêtes’. Et l’histoire lui a donné raison !”. La secrétaire confédérale de la CGT déplore en effet que des réformes successives viennent entamer le monument social de la Sécu, dans le but avoué de faire des économies. Un mouvement qui s’accompagne d’une reprise en main de la Sécurité sociale par l’Etat.

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Or, pour Catherine Perret, “la Sécu repose sur le travail, le salaire socialisé, c’est-à-dire sur les cotisations. Un propos repris et développé par Philippe Martinez lors de la seconde table ronde de l’après-midi (lire ci-dessous).

L’argument du remboursement de la dette social est encore utilisé
Les autres attaques contre la Sécu n’ont pas manqué : 1991 voit la naissance de la CSG, diligentée par Michel Rocard. C’est l’un des premiers points de bascule d’un financement par les cotisations vers un financement par l‘impôt. Suivent selon Catherine Perret les mesures Juppé et la CRDS (1996), les réformes de l’hôpital et des retraites des cheminots, la mise en place d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale avec un Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie) toujours plus réduit d’année en année. “Aujourd’hui, l’argument du remboursement de la dette sociale est encore utilisé dans le cadre de la réforme des retraites par points et de la reprise de la dette Covid, poursuit Catherine Perret qui accuse la réforme des retraites de faire partie d’une politique plus vaste de démantèlement des fondamentaux de la Sécurité sociale, s’appuyant sur une explosion de la solidarité, une ouverture à la capitalisation et l’adoption d’un système à prestation définie (avec des recettes de la Sécu plafonnées).

La Sécurité sociale garde toute son importance aujourd’hui dans la crise sanitaire    

Pierre Caillaud Croizat, petit-fils d’Ambroise Croizat qui fut secrétaire général de la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et ministre du travail de fin 1945 à 1947, abonde dans le même sens : “La Sécurité sociale garde toute son importance aujourd’hui dans la crise sanitaire. Derrière la réforme des retraites, c’est la Sécu qu’on attaque”. Face à ce qu’elle perçoit comme des « assauts », la CGT s’organise et présente ses propositions de Sécurité sociale intégrale. Ce fut le sujet de la seconde table ronde intitulée “La lutte continue”.

La CGT propose une Sécurité sociale intégrale  

Comment renforcer et développer la Sécurité sociale pour faire face au XXIe siècle ? Première chose à entreprendre selon Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, il faut avant tout faire le lien entrer le salaire et le financement de la Sécu : “Collectivement, nous avons perdu quelques repères de ce point de vue. Je me fâche souvent avec des camarades qui demandent des augmentations de salaire net, ce que valide Monsieur Roux de Bézieux (Ndlr : le président du Medef). On oublie que notre salaire contient quelques lignes de cotisations sociales qui constituent du salaire différé servant à financer la Sécurité sociale”.

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Le gouvernement essaie de légitimer que l’Etat dirige et oriente la Sécurité sociale 

Autre mise au point qui recoupe les propos tenus par Catherine Perret lors de la table ronde précédente : “En amalgamant les cotisations et les impôts, le gouvernement essaie de légitimer que l’Etat dirige et oriente la Sécurité sociale. (…) Or, les cotisants doivent être les seuls acteurs des orientations et décisions. Le secrétaire général a également réclamé le retour de la démocratie sociale et des élections des personnes composant le conseil d’administration de la Sécurité sociale (processus électoral mises à mal depuis la réforme de 1996).

Au menu des autres propositions de la CGT, Pierre-Yves Chanu, conseiller CGT en charge de la protection sociale, a développé l’idée de Sécurité sociale intégrale, dénommée aussi “le 100 % Sécu”, et pour cause : il préconise un remboursement à 100 % des soins, la Sécu constituant un unique organisme collecteur et payeur. Ce système éliminerait donc le reste à charge en se finançant uniquement sur les cotisations sociales.

Rendre la Sécurité sociale à ses assurés sociaux 

Exit les mutuelles et prestataires complémentaires privés. Selon Pierre-Yves Chanu, “cela implique de rendre la Sécurité sociale à ses assurés sociaux, de revenir au principe d’élection du conseil d’administration par les assurés. Cela donne sa cohérence à notre conception de la Sécu intégrale. La Sécurité sociale doit être pour la CGT un solide service public, débarrassé du secteur privé lucratif, un point de vue développé par Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des Médecins urgentistes CGT. Le syndicat défend également une baisse du prix des médicaments, appuyé sur une taxation des laboratoires pharmaceutiques et la création d’un pôle de santé public assurant l’indépendance thérapeutique du pays.

Pour Manu Blanco, conseiller CGT en charge de la protection sociale, “il ne faut pas oublier que la Sécurité sociale a été productrice d’emploi, de richesse pour le pays. Le prix du médicament a été concédé comme beaucoup plus important que le coût de production. Mais cela était conditionné au développement de l’industrie du médicament pour s’assurer de notre indépendance thérapeutique et de notre sécurité sanitaire. Cela est financé en partie par une quote-part de nos cotisations, on a tendance à l’oublier (…) alors qu’on est arrivés pendant la crise du Covid à rationner le Doliprane. Nous dénonçons cela depuis plus de 25 ans à la CGT : la casse de l’outil industriel, les délocalisations n’ont fait que générer des ruptures de médicaments”.

Une critique de la 5e branche autonomie 

Dernière intervenante de la seconde table ronde, Fabienne Clamens, conseillère CGT protection sociale, a présenté les enjeux qui entourent la création d’une 5e branche de la Sécurité sociale consacrée au financement de la perte d’autonomie des personnes âgées. Ce principe a été acté par la loi du 7 août 2020, loi qui entérine également le transfert de la dette sociale à la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), caisse provisoire à l’origine, créée pour apurer les dettes de la Sécu, et prolongée depuis lors jusqu’en 2033… (lire notre article et encadré sur les réactions syndicales).

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Nous défendons un droit à l’autonomie pris en charge au titre de la maladie dans la Sécurité sociale

Fabienne Clamens insiste sur trois points importants autour de la 5e branche autonomie : tout d’abord sa gouvernance, confiée à la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, créée après la canicule de 2003 en dehors du champ de la Sécurité sociale et placée sous tutelle de l’Etat. Vient ensuite le problème de son financement, assuré à 90 % par l’impôt via la CSG, ce qui impacte principalement les retraités qui ont vu leur participation augmenter ces dernières années. Selon Fabienne Clamens, “il s’agit d’un système d’assistance à l’anglo-saxonne qui ne répond pas aux besoins et fait la part belle aux assurances privées”. Dernier point : la séparation entre soin et accompagnement au soin dans la prise en charge de l’autonomie, qui permet notamment de baisser les coûts. Le soin pur revenant aux hospitalisations de longue durée, l’accompagnement au soin étant assuré en Ehpad. “Pour nous, à la CGT, tout relève du soin. Nous défendons un droit à l’autonomie pris en charge au titre de la maladie dans la Sécurité sociale. Nous voulons un financement reposant sur le partage des richesses, un financement pérenne, non tributaire du budget de l’Etat”.

Compte tenu de la situation actuelle inédite, ces propositions de la CGT peuvent-elles trouver un écho dans l’opinion et chez les politiques ou risquent-elles, au vu des changements déjà opérés et de l’endettement de notre système social, d’être taxées d’idéalistes ou de passéistes ? A suivre !

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