Pour Judith Krivine, avocate spécialisée en droit du travail pour les salariés, l’avant-projet de loi Travail représente une régression pour les salariés. Les dispositions sur le licenciement économique ne permettraient plus de contrôler les licenciements dans le groupe et la barémisation des indemnités prud’homales priverait le salarié d’une juste réparation du préjudice.
Ce projet de loi représente un recul pour les droits des salariés. Il flexibilise le travail et sécurise les employeurs, sans simplifier le code du travail ni sécuriser les salariés. En effet, il n’est pas du tout à droit constant comme le laisse entendre le gouvernement. Concernant le temps de travail et les congés, les parties du code totalement réécrites par l’avant-projet, primeur est donnée à l’accord d’entreprise sur les accords de branche, et la plupart des règles deviennent supplétives, et parfois même, la règle supplétive renvoie à une décision unilatérale de l’employeur.
Oui. Cette prédominance de l’accord d’entreprise laisse le champ libre au chantage à l’emploi pour que les délégués syndicaux signent les accords proposés par l’employeur. Lorsque l’on connaît l’état du rapport de force au sein des entreprises aujourd’hui, on comprend aisément que proposer de confier la réglementation du droit du travail à la négociation d’entreprise, c’est ouvrir la porte à tous les chantages.
Par ailleurs, la primeur donnée aux accords d’entreprise risque de favoriser encore les grandes entreprises par rapport aux TPE et PME, qui ne disposent pas de délégués syndicaux et au sein desquels même les employeurs ne disposent pas toujours des moyens et du temps pour mener des négociations. L’extension par la loi Rebsamen de la possibilité de signer des accords avec d’autres que les délégués syndicaux ne me rassure pas, le chantage risque d’avoir encore plus de prise et les salariés mandatés risquent de signer des accords dangereux. L’exemple des accords « prévention et développement des emplois » prévus par l’avant-projet est le type même d’accord extrêmement défavorables aux salariés, qui mettent gravement en cause le principe de faveur et le droit au recours des salariés, mais qui pourraient être signés si l’employeur affirme qu’à défaut il sera contraint de licencier (sans compter le recours possible au référendum…).
Sans doute, l’article 30 bis sur le licenciement économique. La loi de sécurisation de l’emploi puis la loi Macron avaient déjà réduit les possibilités d’intervenir et de contester le licenciement, mais l’avant-projet de loi va plus loin. Le nouvel article L. 1233-3 du code du travail précise que l’appréciation de ces difficultés s’effectue au niveau de l’entreprise et, si celle-ci appartient à un groupe, « au niveau du secteur d’activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient ». Cette disposition ne permet plus de contrôler, ni de contester ou de remettre en cause le licenciement économique dans un groupe international et va à l’encontre de la jurisprudence constante (voir notamment l’arrêt du 5 avril 1995, n° 93-42.690). C’est d’autant plus grave que les groupes peuvent aisément « organiser » les difficultés de leurs filiales (prix de transfert, prestations internes au groupe etc.) et que le projet facilite aussi les critères d’appréciation des difficultés économiques.
La barémisation des indemnités prud’homales en cas de condamnation pour licenciement abusif prive, dans bien des cas, l’intérêt de contester son licenciement pour le salarié. En effet, ce barème réduit le rôle du juge puisqu’il lui ôte la possibilité d’apprécier la réalité du préjudice subi par le salarié. Or le préjudice subi par le salarié ne se limite pas à son ancienneté dans l’entreprise, comme le prévoit le barème. Plein d’autres éléments peuvent entrer en ligne de compte (par exemple un salarié qui aurait accepté de déménager pour venir dans l’entreprise, avec beaucoup de frais, puis serait licencié moins d’un an après aurait peu d’ancienneté mais un grand préjudice). De plus, le barème proposé par l’avant projet de loi calque les montants maximum proposés par la barème issu de la loi Macron pour les entreprises de moins de 20 salariés (à part l’augmentation de 12 à 15 mois) et va jusqu’à supprimer les planchers.
Oui, car désormais il sera possible, sans qu’il soit besoin de démontrer des « graves difficultés conjoncturelles », moyennant la promesse de préserver ou développer l’emploi, ce qui est très large, d’imposer au salarié une modification de son contrat de travail (par exemple une augmentation du temps de travail sans contrepartie). En cas de refus de celui-ci, il sera licencié sans passer par un licenciement pour motif économique. Le licenciement aura une cause réelle et sérieuse, et le salarié ne pourra même plus le contester, ce qui est incroyable, lorsque l’on sait que même le salarié lui-même ne peut pas renoncer par avance au droit de contester son licenciement dans une transaction : comment un accord dont il n’est pas signataire pourrait-il le priver de ce droit ? Il s’agit là encore d’une régression des droits pour les salariés.
Le projet de loi prévoit que tout accord ou convention d’entreprise devra être majoritaire. Si cette condition de majorité n’est pas satisfaite, mais que l’accord recueille la signature d’un ou de plusieurs syndicats totalisant au moins 30% de représentativité, ce ou ces syndicats minoritaires pourront exiger l’organisation d’un référendum. Comme l’a montré l’affaire Smart, les référendums pratiqués dans ces situations permettent de contourner la discussion syndicale et favorisent le chantage à l’argent et à l’emploi pour obtenir l’accord des salariés.
Source : Actuel CE 2016
Quand un révolutionnaire tombe, il y a toujours dix mains pour ramasser son fusil . (Jean-Christophe GRANGE).